Lord George Murray (1694-1760)
Lord George Murray est né à Huntingtower, près de Perth. C’est le sixième fils de John Murray, Ier duc d’Atholl, chef du clan Murray et de Catherine Hamilton, fille du duc du même nom.
Dès le plus jeune âge, George Murray affiche un esprit orgueilleux, impétueux et intrépide. Fils cadet de la fratrie Murray, il est formé aux arts militaires et on le destine à faire carrière dans l’armée royale. Il fait ses premières armes en 1712 lorsqu’il rejoint l’armée en Flandres.
Premiers engagements dans la cause jacobite
Trois ans plus tard, en 1715, George et ses frères, Willam Murray Marquis de Tullibardine et Charles Murray, s’engagent dans l’insurrection jacobite sous les ordres du comte de Mar, à l’origine du soulèvement armé pour le retour sur le trône d’Angleterre du Prétendant Jacques-François Stuart. A chacun des trois frères il est confié le commandement d’une compagnie des hommes d’Atholl.
Le comte de Mar, commandant d’une armée de 20 000 jacobites, réussit à prendre le nord de l’Ecosse et les villes d’Inverness, Gordon, Aberdeen et Dundee. Il affronte ensuite les armées hanovriennes du roi George Ier mais ses hésitations et ses erreurs stratégiques mènent à la défaite de Sheriffmuir, très vite suivie par la perte d’Inverness et la défaite de Preston. George et ses frères sont faits prisonniers à Preston, néanmoins, après l’effondrement du soulèvement jacobite, George et son frère William parviennent à s’échapper et à fuir pour la France.
En 1719, alors que les relations diplomatiques se sont apaisées entre la France et l’Angleterre, la rébellion jacobite trouve un nouvel allié avec le cardinal Giulio Alberoni, ministre du roi d’Espagne. Une armée jacobite se prépare à envahir l’Angleterre pendant que l’Espagne arme 27 navires chargés de 5000 hommes pour soutenir les forces des insurgés. Une fois encore, Lord George Murray est de la partie aux côtés de son frère William et des rares aristocrates écossais qui se sont engagés dans l’aventure. Plusieurs tempêtes dispersent les forces navales espagnoles, mais deux navires parviennent à décharger sur les côtes écossaises une armée de 300 hommes menée par William Murray.
Cette petite armée parvient à prendre le château d’Eilean Donan avant qu’il soit bombardé par les forces de la Royal Navy. L’armée rebelle, contrainte d’abandonner le château ne rencontre qu’un faible soutien des clans écossais. Le 10 juin, les forces jacobites affrontent les armées anglaises lors de la bataille de Glen Shiel. Lord George Murray prend le commandement de l’armée avec son frère William. Lors de cette première expérience de commandement, George s’illustre par son audace et sa vigueur au combat. Il est néanmoins blessé dès le premier jour d’affrontement alors qu’il commandait l’aile droite de l’armée. La bataille vire à la défaite pour les troupes jacobites qui sont contraintes de se rendre aux forces gouvernementales. Lord George parvient à fuir et passe les quelques mois qui suivent à se cacher dans les Highlands avant de se rendre à Rotterdam où il arrive en 1720. Les années qui suivent cet évènement sont plus troubles. Il semblerait que Murray se soit engagé comme officier dans l’armée du roi se Sardaigne bien qu’aucune source véritablement fiable ne l’atteste.
Réhabilitation officielle du général écossais
Dans les années qui suivent, lord George Murray parvient à obtenir le pardon du gouvernement britannique ; en 1724, il revient d’exil, rencontre le roi George Ier grâce à l’intervention de son frère, le duc d’Atholl, et rentre en Ecosse où il s’installe dans la propriété familiale de Tullibardine à Strathearn. Le gouvernement qui cherche à affaiblir les sympathies jacobites entreprend une politique d’amnistie à l’égard des grandes familles d’élite. George Murray bénéficie de cette mesure d’indulgence et il est définitivement gracié en 1725.
En 1728, Murray épouse Amelia, fille de James Murray de Strowan et Glencarse qui lui donne trois fils et deux filles. Malgré ses engagements de jeunesse, Murray se tient à l’écart de la société jacobite et reste sourd à leurs sollicitations. En 1739, il prête allégeance au roi George II, ce qui le réhabilite définitivement aux yeux des loyalistes. Pendant toutes ces années il reste sur ses terres et fait fructifier la fortune familiale.
En juillet 1745, Charles-Edouard Stuart débarque en Ecosse pour soulever une nouvelle fois les forces jacobites et récupérer le trône d’Angleterre au nom de son père, Jacques-François. Grande figure du jacobitisme, George Murray ne reste pas insensible à l’évènement d’autant plus qu’il est sollicité de toutes parts pour prendre les armes au nom des Stuart. Mais George est très sceptique à l’égard du jeune prince, il ne sait pas encore quelle confiance il peut accorder à ce jeune aventurier qui lui paraît idéaliste et bien peu expérimenté. Il sait qu’il risque gros s’il s’engage pour Charles Edouard, il engagerait sa vie, celle de ses hommes, sa fortune, le nom des Murray et tout espoir de réhabilitation possible en cas de défaite.
Ce manque de confiance et d’engagement immédiat auprès du jeune Charles vaudront à Murray des soupçons réguliers de la part de certains officiers jacobites. Son soutien à la cause du jeune Stuart sera régulièrement remis en questions et à plusieurs reprises le Prince et certains de ses officiers l’accuseront d’accointance avec les forces hanovriennes, voire de trahison.
Le 21 août, Murray accompagne à Crieff son frère William, le nouveau duc d’Atholl, pour rendre hommage à sir John Cope, le commandant des troupes gouvernementales. Au cours de cette visite, Cope nomme Murray sheriff adjoint du Perthshire, une fonction de magistrat du Roi qui compromet encore lord George aux yeux de nombreux jacobites.
L’engagement pour la cause jacobite, le retour du général
Malgré cette allégeance au parti de Hanovre, la conscience jacobite de George ne peut rester insensible à l’effervescence qui agite l’Ecosse autour de Charles Edouard Stuart. Le jeune homme rencontre un véritable succès dans toutes les villes qu’il traverse et parvient à rallier de nombreux chefs de clans.
Dès le mois de septembre, George Murray part à la rencontre du Prince, stationné avec son armée au château de Blair, dans le Perthshire, terre du clan Murray. On ne sait ce que les deux hommes se sont dit ni quelles sont les motivations réelles de George à ce moment – le réveil de ses engagements de jeunesse ou la volonté de ne pas passer à côté d’une page importante de l’histoire écossaise – mais il n’en demeure pas moins que le vieux général prend la décision d’épouser publiquement la cause jacobite, faisant la joie de toute l’armée de Charles. Murray a bien conscience que les chances de succès de Charles-Edouard sont très faibles et il demande des garanties au Prince qui l’assure du soutien militaire du roi de France et des jacobites anglais. Deux assurances fausses qui seront lourdes de conséquences pour l’armé et que Murray ne pardonnera jamais au Prince. Charles sent qu’il ne pourra pas dompter facilement le tempérament du vieux général. Décidé à le soumettre lors de ce premier entretien, il lui aurait lancé : « J’attends de mes sujets leur obéissance et non leurs conseils. »
Murray jouit d’une réputation de chef de guerre intrépide et implacable. En effet, George Murray ne s’est pas contenté de naître. Sa renommée, c’est sur les champs de bataille européens qu’il l’a acquise. Fils cadet d’une grande fratrie, rien ne le prédestinait à porter l’étendard du nom Murray. C’est pourtant lui qui va faire la gloire de ce nom. En 1745, quand il se présente au Prince Charles et ses hommes, Murray représente pour toute une génération de jeunes jacobites l’homme de 1715 et 1719. C’est donc tout naturellement que Charles-Edouard lui confie le commandement de l’armée jacobite. Charles a compris que les Highlanders ne se battent que par fidélité à leurs chefs de clan, qui ne sont pas eux-mêmes tous unis ni fidèlement acquis à sa cause. S’il veut commander cette armée disparate, il doit s’appuyer sur un chef expérimenté à l’autorité indiscutable. Murray est l’homme de la situation.
Dès sa nomination, lord George se met à l’œuvre. Il s’exerce avec son armée apportant l’ordre et la discipline dont elle a besoin. Il gagne la confiance des Highlanders, règle les différends sur la place d’honneur qui revient à chaque clan et empêche des exactions contre les civils que certains recommandent à Charles. Même si Murray s’impose aussitôt comme un chef indiscutable, le secrétaire de Charles, John Murray de Broughton qui se considère premier conseiller du Prince, intrigue contre Murray, insinuant qu’il est un traître.
Pour nous aider à comprendre qui est lord George Murray en 1745, l’historien MacCearney nous offre un portrait du général à cette époque :
« Lord George, la cinquantaine vigoureuse, est de loin le militaire le plus doué de la cause jacobite, mais, en étant conscient, il tient à la rappeler à tout propos. Excellent tacticien, rapide, intrépide, perspicace, il possède une connaissance intuitive de la psychologie des highlanders. Mais, colérique, égoïste, hautain, il affiche volontiers son mépris de ses collègues. Protestant, il n’aime ni les catholiques, ni les Irlandais. Il tient le prince pour un bellâtre italien immature, dont le rôle doit être surtout de représentation. Lord George ne s’engage pas pour Charles, mais poussé par un remord légitimiste, pour les Stuart. »
Ce portrait est mettre en relation avec les propos du Chevalier de Johnstone, l’aide de camp de Murray, qui nous permet de comprendre le prestige dont jouit le général auprès de ses hommes: « Lord George Murray, qui avait la charge de tous les détails de notre armée, et qui en avait la direction unique, possédait un génie naturel pour les opérations militaires; et était un homme de talents étonnants, qui s’ils avaient été cultivés par l’étude de la tactique militaire, auraient incontestablement fait de lui l’un des plus grands généraux de son âge. Il était grand robuste, et courageux au plus haut degré; il conduisait les Highlanders de la manière la plus héroïque, toujours le premier à se précipiter, l’épée à la main, au milieu de l’ennemi. Il disait que, lorsque nous avancions à la charge, «je ne vous demande pas, mes gars, d’avancer, mais simplement de me suivre». Il dormait peu, était continuellement occupé de toutes sortes de détails, et était, au final, le plus infatigable, combinant et dirigeant seul toutes nos opérations: en un mot, il était la seule personne capable de diriger notre armée. Il était vigilant, actif et diligent; ses plans étaient toujours judicieusement formés, et il les portait promptement et vigoureusement dans l’exécution. […] Fier, hautain, franc et impérieux, il voulait avoir l’ordre exclusif de tout, et, sentant sa supériorité, il n’écoutait aucun conseil. Il faut avouer qu’il n’avait pas d’auxiliaire capable de le conseiller, et que la confiance de ses soldats lui avait permis d’être émerveillé.»
Outre George Murray, Charles s’entoure d’officiers tout aussi prestigieux et intraitables :
- Le jeune et charismatique John Drummond, duc de Perth.
- John O’ Sullivan, jacobite irlandais qui suit le Prince depuis son passage en France. Il est d’ailleurs au service du royaume de France.
- Murray de Broughton, secrétaire du Prince et qui agit en premier ministre.
- Donald Cameron of Lochiel, chef du clan Cameron.
Charles comprend très vite que face à ces hommes de talent et de caractère, son autorité naturelle ne s’impose pas comme une évidence. Il est tout de suite obligé de rechercher des compromis afin de ne pas heurter leur susceptibilité : il impose que chaque officier reçoive sous ses ordres un nombre identique de soldats ; il organise un roulement afin que chaque officier et chaque chef de clan commande à tour de rôle l’aile droite de l’armée, une place d’honneur sujette à de nombreuses jalousies ; mais surtout, il fait en sorte que la fonction de généralissime soit occupée à tour de rôle par lord George Murray et le duc de Perth pour éviter d’alimenter les conflits entre les deux hommes.
Septembre 1745 : la bataille de Prestonpans
Dès les mois de septembre 1745, l’armée jacobite, forte de 2500 hommes recrutés dans tous les Highlands se met en marche, atteint la ville d’Edimbourg le 16 septembre et se prépare à affronter l’armée gouvernementale commandée par sir John Cope.
Le 20 septembre, ont lieu les premiers affrontements entre les deux armées, sans qu’aucune ne prenne l’avantage. Du côté jacobite, c’est la confusion totale. Le Prince, O’ Sullivan, Murray et Lochiel, chef du clan Cameron, chacun pour son compte et sans se consulter donne des ordres contradictoires suivis de contre-ordres confus. Les manœuvres sont incohérentes. Le soir, les généraux tiennent conseil. Sans plan de bataille convaincant, ils décident de se rallier à une proposition de Murray. Lord George connaît bien le terrain, il pense pouvoir tenter une marche forcée à travers les marécages et contourner l’armée pour la prendre par surprise au lever du jour.
Le 21 septembre, George Murray mène l’aile gauche jacobite et ordonne l’assaut sur l’armée hanovrienne. L’effet de surprise est immédiat, les hommes de Cope, mal préparés, se débandent de toutes parts. En moins de dix minutes, l’armée gouvernementale est vaincue.
Cette victoire, qui conforte Charles dans ses desseins et lui offre toute l’attention des cours européennes lui permet en outre de gagner la confiance des clans écossais qui affluent en masse pour joindre sa cause. Mais c’est surtout un triomphe pour lord George Murray qui confirme sa réputation de grand stratège et de chef de guerre intrépide. Cette gloire inquiète le jeune prince qui écrit aussitôt au roi de France pour lui demander de lui envoyer un général pour « commander sous lui en Ecosse ». Charles est à la recherche d’un général plus docile que Murray. Il propose à Louis XV le nom de Drummond, commandant du Royal Ecossais et oncle du duc de Perth. De plus, le prestige de Drummond est tout aussi important que celui de George Murray auprès des chefs de clan.
Des factions commencent à se former au sein de l’armée jacobite entre les Irlandais venus de France avec Charles-Edouard et les chefs de clan écossais qui risquent leur fortune et leur vie pour la cause du Prince. Les conseillers écossais sont aussi partagés entre l’autorité de naissance du jeune Stuart et celle de la compétence qui revient incontestablement à lord George Murray. Ce dernier s’oppose ouvertement à la stratégie offensive du Prince qui, dans l’euphorie de la victoire de Prestonpans, veut entreprendre une marche forcée jusqu’à Londres. Murray défend sa stratégie écossaise qui consisterait à rester en Ecosse, consolider les positions jacobites et organiser leurs forces en attendant que les Français débarquent et que les jacobites anglais se soulèvent – deux alternatives auxquelles Murray ne croit plus vraiment. Les chefs écossais, responsables de leurs terres et de la vie de leurs hommes se rangent derrière Murray et s’opposent aux aventuriers irlandais comme O’Sullivan qui n’ont rien à perdre en Ecosse et suivraient le Prince aveuglément jusqu’à Londres.
Le 30 octobre 1745, lors d’une réunion du conseil, George Murray demande au Prince l’exclusion des conseillers catholiques, comme Perth, son principal concurrent. Cette demande, sans succès, ne fait que réveiller les soupçons de traitrise à l’égard de Murray qui perd la confiance des proches du Prince comme O’Sullivan et Broughton. Murray est donc contraint de suivre la stratégie de Charles qui lui accorde néanmoins un compromis : une partie de l’armée reste stationnée en Ecosse pendant que l’autre entreprend des missions de reconnaissance et des expéditions offensives en Angleterre.
Pour en savoir plus, consultez notre article sur cette batailleNovembre 1745, la prise de Carlisle
A partir du 9 novembre 1745, l’armée jacobite assiège la ville de Carlisle. Le siège est commandé par le duc de Perth, mais c’est Murray qui monte à l’assaut le 14 novembre à la tête de ses Highlanders. La ville est mal défendue, c’est une victoire facile des jacobites. Enorgueilli par cette victoire, lord George provoque une nouvelles crise au sein du conseil. Il s’offusque que le commandement su siège ait été remis à Perth, exige que le jeune duc soit démis de ses fonctions pour cause de catholicisme et remet au prince sa propre démission pour faire pression. Il lui fait remarquer que s’il s’était mis au service du Prétendant, rien de l’oblige pour autant à se soumettre au jeune Prince. Charles se hâte d’accepter sa démission et lui accorde la permission de servir dans les troupes de volontaires du duché d’Atholl. Le résultat est prévisible, les chefs écossais se révoltent. Ils n’acceptent de reprendre la marche que si Murray les commande. Cet évènement remet chacun à sa place, Charles parade dans son rôle de Prince derrière l’armée, maintenant commandée par Murray.
Si Murray manigance ce coup de force dès l’entrée de l’armée en Angleterre, ce n’est pas seulement par orgueil personnel, c’est surtout pour la possibilité d’ordonner le repli de l’armée en Ecosse au cas où la situation militaire, en l’absence du ralliement jacobite ou d’un débarquement français, deviendrait intenable.
Pour Charles, Murray est définitivement un traitre en puissance. Pour lord George, Charles est un égoïste inconscient et irresponsable qui pousse l’armée de plus en plus loin en territoire ennemi, en la trompant avec le mirage d’un secours français de moins en moins probable. L’expédition en Angleterre se poursuit malgré tout selon les volontés du Prince. Le 29 novembre, l’armée jacobite prend la ville de Manchester. L’armée recrute 200 jacobites de plus à Manchester, Murray en espérait bien plus. Pour la première fois, il est véritablement inquiet.
Décembre 1745, le conseil de Derby
Lord George Murray, rétabli dans son commandement, persuade le prince de d’avancer par la côte ouest, vers le comté de Cumberland où le terrain accidenté serait plus favorable aux tactiques des Highlanders en cas d’affrontement, plutôt que de tenter un assaut ouvert contre l’armée gouvernementale de Wade (qui remplace Cope) postée à Newcastle.
Charles ne le sait pas encore mais le 28 novembre, les renforts français, composés du Royal Ecossais et des Piquiers Irlandais, ont débarqué en Angleterre commandés par le général Drummond et accompagnés du Marquis d’Eguilles, agent du ministre de Louis XV, d’Argenson. Ces renforts tant attendus, d’un millier d’hommes environ, sont bien maigres au regard des 5000 à 6000 soldats attendus par le Prince.
L’armée jacobite fait route vers Derby commandée par Murray. En dépit du manque de confiance que le Prince accorde au général, le chevalier de Johnstone, aide de camps de George Murray, raconte avec ironie dans ses mémoires, que « le prince Charles avait dormi pendant toute l’expédition et avait autorisé Lord George Murray à agir pour lui selon ses propres jugements », ainsi « il aurait pu trouver la couronne de Grande Bretagne sur sa tête lorsqu’il se serait réveillé ». La ville de Derby est atteinte le 5 décembre, le soir même, le Prince tient conseil.
Le conseil de Derby tourne au désavantage du Prince. Murray, de plus en plus conscient des illusions et des mensonges du Prince exige des preuves du soulèvement des jacobites anglais et d’une intervention française massive. Charles-Edouard est bien obligé d’admettre qu’il n’a aucune garantie à leur apporter. Charles-Edouard, mis en faiblesse face à son état-major, est contraint d’accepter la stratégie de repli de George Murray. Charles se trouve alors marginalisé, c’est dorénavant Murray qui a le contrôle total des opérations.
La retraite dans les Highlands
Lord George, est inquiet. Le gouvernement est en train d’armer des troupes commandées par le duc de Cumberland pour renforcer les effectifs de Wade. Murray est obsédé par le rapport de force, au désavantage des jacobites. Il force l’armée à accélérer sa retraite dans les montagnes pour ne pas avoir à affronter les troupes hanovriennes qui pourraient les prendre en tenaille. Charles, pour le plaisir de contrarier son général, tente par tous les moyens de retarder cette retraite. La méfiance du Prince à l’égard de lord George vire à la paranoïa.
Pour contrer la retraite des jacobites, la cavalerie de l’avant-garde anglaise harcèle les colonnes jacobites. Murray aimerait profiter de cette occasion pour livrer bataille à cette avant-garde en infériorité numérique. Même si cette proposition va dans le sens de la volonté d’offensive de Charles-Edouard, ce dernier refuse la proposition de Murray pour le principe de le contrarier.
L’escarmouche de Clifton Moor
Même s’il ne livre pas la bataille souhaitée, Murray profite d’une contre-offensive pour mener une escarmouche près des marais de Clifton. Murray commande l’arrière-garde, une tâche difficile compte tenu de la proximité des forces gouvernementales à ses arrières et ses flancs commandée en partie par le duc de Cumberland. Murray se retourne et livre bataille à la tête de ses hommes.
Le chevalier de Johnstone raconte dans ses mémoires ce nouveau coup d’audace du général :
« lord George a décidé d’attaquer les Anglais avec son arrière-garde de 1000 hommes. Lord George dressa ses troupes en ordre de bataille, et les Anglais, sous le duc de Cumberland, arrivèrent au moment où le soleil se couchait. Après avoir fait des arrangements hâtifs, qui n’étaient pas achevés jusqu’à ce qu’il fût assez sombre, lord George chargea puissamment sur les lignes anglaises éclairées seulement par la lumière de la lune qui, heureusement, se brisait par intervalles à travers les nuages noirs. La cavalerie anglaise fut repoussée avec une perte sévère, tandis que les Jacobites ne perdirent que douze hommes. »
La bravoure de Murray et ses highlanders impressionne le Marquis d’Eguilles qui les voit à l’œuvre pour la première fois : « ce sont de véritables démons et les ennemis en ont une peur inexprimable ». Grâce à cette victoire, Murray permet à l’armée de rejoindre Carlisle sans perte de provisions ni de matériel de guerre, avant d’atteindre Stirling le 3 janvier 1746. Le prestige et l’autorité de Murray sortent encore renforcés de cette victoire de Clifton Moor.
Lord George met alors en œuvre sa stratégie écossaise qui ne se résume plus qu’à un repli montagnard. Il souhaite évacuer la basse écosse, consolider les positions jacobites dans les Highlands et réorganiser la rébellion depuis les hautes-terres écossaises. Pour Lord George Murray, highlander lui-même, la rébellion est une affaire de highlanders, et elle doit se jouer dans les hautes terres. Murray pense en effet que le repli dans les montagnes rassurerait le pouvoir londonien qui porterait le plus gros de ses forces sur d’autres terrains militaires, laissant le temps à l’armée jacobite de se reconstituer et se renforcer.
La bataille de Falkirk, janvier 1746
Le 28 janvier 1746, l’armée jacobite se décide enfin à livrer bataille aux armées gouvernementales menées par le général Hawley. Le rapport de force n’est pas à l’avantage des jacobites mais cette bataille est une volonté du Prince qui ne peut plus se résoudre à reculer dans les Highlands et souhaite même, contre l’avis de ses officiers combattre en première ligne.
Une fois encore, lord George Murray, à la tête de l’aile droite et du clan MacDonald de Keppoch, va s’illustrer au combat. L’action de Murray dans cette bataille a été très bien relatée par le chevalier de Johnstone :
« [quand les dragons anglais vinrent à dix ou douze pas de lui, lord George, son épée nue à la main et sa targe sur le bras] donna l’ordre de tirer. La cavalerie fermant les rangs, qui furent ouverts par cette décharge, a éperonné leurs chevaux, et s’est précipitée sur les Highlanders à un trot dur, brisant leurs rangs, et jetant tout devant eux. Un combat des plus extraordinaires a suivi. Les Highlanders, étendus sur le sol, enfonçaient leurs [dagues] dans les ventres des chevaux: les uns saisissaient les cavaliers par leurs habits, les traînaient et les poignardaient avec leurs dagues; plusieurs d’entre eux ont à nouveau utilisé des pistolets, mais peu d’entre eux avaient suffisamment d’espace pour manipuler leurs épées […]. La victoire jacobite qui en résulta, comme celle de Prestonpans, fut, dans une large mesure, accomplie par la bravoure personnelle de lord George Murray, bien que le prince Charles lui-même commandât l’armée jacobite. »
Dans sa relation du la bataille de Falkirk du 2 février 1746, le Marquis d’Eguilles nous livre les mêmes impressions : « Milord George Murray, qui commandoit à la droite, eut assez d’activité, d’autorité et d’honneur pour la rallier, et il la ramena à l’ennemi avec tant de vigueur, que dans trois minutes, ce gros corps fut rompu et mis en fuite […]. Milord George Murray, qui commandoit la droite, et dont le prince a principalement suivi les avis dans la disposition de son armée, s’est battu à pied comme un lion, à la tête des montagnards, et, après le Prince, il est celui qui mérite le plus d’être loué. »
Pour en savoir plus, consultez notre article sur cette batailleDe Falkirk à Culloden
Après la victoire de Falkirk, l’armée jacobite se replie vers le nord, dans la cité d’Inverness où elle doit restaurer ses forces avant de lancer de nouvelles offensives au printemps. Charles-Edouard n’a plus d’argent pour nourrir son armée. Les hommes sont affamés. De nombreux Highlanders vont et viennent entre Inverness et leurs terres, certains désertent, d’autres tombent malade. Avant de rejoindre Inverness Murray fait un détour par la côte plus riche que les montagnes à la recherche de provisions.
En février 1746, pendant que l’armée récupère derrière les murs d’Inverness, George Murray poursuit ses offensives contre les troupes anglaises. Pendant que les Cameron de Lochiel assiègent Fort William et Stapleton, Fort Augustus, Murray marche à la tête de 3000 hommes contre les hommes de Loudon. Il entreprend ensuite avec 500 hommes une expédition contre le clan des Grant en train de s’armer contre le jeune prétendant. Dans un nouveau rapport à Argenson, D’Eguilles relate cette opération :
« Milord George Murray, avec deux pièces de canon et un millier d’hommes, est parti ce matin pour aller dans le païs des Grants, à 25 milles d’icy, châtier leur chef qui, non content de les en empêcher de venir nous joindre, selon leur volonté, tâche de les forcer à s’armer contre nous. Le duc de Cumberland luy a envoyé 2000 fusils dont nous aurons dans trois à quatre jours, la plus grande partie.
Au mois de mars, il reçoit des informations sur des exactions commises par les troupes anglaises contre les habitants d’Atholl. D’Eguilles poursuit son rapport :
« Milord George Muray partit d’Inverness le 23 du mois de mars, avec les deux bataillons d’Athol, environ 550 hommes. Il prit avec luy deux canons et marcha vers les Grants que leur chef voulait armer contre nous. A son approche, ledit chef quitta son château et fut joindre le duc de Cumberland avec 110 hommes, au lieu de 1500 qu’il luy avoit promis. Le même jour, les sous-chefs signèrent une promesse de neutralité pour tout le temps de la guerre, et les six principaux s’obligèrent à suivre notre armée, en qualité de cautions. Milord George fit, le lendemain, une marche de plus de quinze lieues de France, et alla coucher à Ruthwen et à Badenac. Il y fut joint par 600 Macpherson ou [MacEnzies]. Le lendemain, ils partirent tous ensemble au nombre d’environ 1100. Ils firent encore douze lieues, et surprirent un poste de 185 hommes qu’ils enlevèrent, sans qu’un seul pût aller avertir la garnison du château de Blair, qui est à cinq mille au midi. Ils envoyèrent tout de suite, par des chemins détournés, 140 hommes s’emparer du fameux passage de Killikankie, entre Blair et Dunkel, où ils enlevèrent encor 90 hommes qui le gardoient.
Le chevalier de Johnstone apporte des détails à cette opération, sans jamais manquer de mettre son général à l’honneur :
«il partit aussitôt […] avec le clan d’Atholl, pour se venger de ces outrages, et il marcha si bien à travers les montagnes que l’ennemi n’avait aucune information de sa part […]. Ayant planifié sa marche pour arriver à Atholl au début de la nuit, le détachement se sépara, se divisant en petits groupes, chaque gentilhomme prenant le chemin le plus court jusqu’à sa maison. Les Anglais ont été surpris à leurs postes. Beaucoup ont été mis à l’épée, et environ 300 ont été faits prisonniers. Sir Andrew Anew, qui tenait le château de Blair Atholl, sortit avec un détachement pour savoir qui avait attaqué ses postes; mais, grâce aux précautions prises par lord George, il revint au château sans oser attaquer. Lord George a ensuite bloqué le château et la garnison. L’ennemi était réduit à une grande détresse à cause de l’absence de provisions, et devait bientôt se rendre, quand Lord George reçut du prince Charles l’ordre de retourner à Inverness, en raison de l’avance du duc de Cumberland.
Le Marquis d’Eguilles nous apporte le bilan de cette opération :
« le siège du château de Blair s’est borné à la prise de 260 prisonniers, dont j’ay parlé cy-dessus, et à celle de quelques autres. Après avoir tenté en vain de l’affamer par un blocus de 17 jours, Milord George Murray est arrivé aujourd’huy au quartier du Prince. »
Malgré les nombreuses batailles victorieuses conduites par Murray et les injonctions du Prince à revenir au plus vite à Inverness pour faire face aux armées de Cumberland, Charles reproche à lord George d’avoir abandonné le siège de Blair sans avoir pris la citadelle. Cette mauvaise fois traduit parfaitement la méfiance du Prince à l’égard de son général, une suspicion qui gagne aussi l’entourage de Charles. « L’autre crainte est un peu plus difficile à guérir : je crains que Lord Georges Murray ne nous vende. Je ne puis vous en détailler ici les raisons, n’ayant point le temps de les chiffrer et ne voulant point les exposer à l’interception, mais je veillerai et le ferai veiller. Le prince partage toutes mes craintes sur cet article, et il prendra ses précautions. » Ces confidences du Marquis d’Eguilles à Argenson sont explicites.
La bataille de Culloden, 16 avril 1746
Malgré un rapport de force largement défavorable aux Jacobites, Charles insiste pour affronter l’armée de Cumberland dans une bataille régulière. Tout le conseil, qui se range derrière l’avis réaliste de Murray, s’y oppose. Charles use de son autorité princière pour forcer la décision. Les jacobites affronteront donc l’armée hanovrienne dans la plaine de Culloden.
Lord George, cherchant un moyen de sauver la situation propose alors un nouveau plan d’attaque pour éviter autant que possible une bataille rangée dans laquelle l’armée jacobite n’a aucune chance de remporter la victoire, du moins pas sans de grands sacrifices. Il fait alors une proposition audacieuse. L’avant-garde jacobite entreprendra une marche forcée pendant la nuit jusqu’à Nairn pour se jeter sur le campement ennemi avant l’aube. La surprise doit être totale, l’armée hanovrienne anéantie. Charles bascule aussitôt dans l’euphorie, tant et si bien qu’il se réconcilie sur le champ avec son généralissime. « Lord George, vous ne pouvez imaginer, et je ne peux vous exprimer, combien je vous suis reconnaissant de tous les services que vous m’avez rendus. Mais ceci couronnera le tout. Vous remettrez le roi sur son trône. Vous en aurez tout l’honneur et toute le gloire. C’est votre œuvre. C’est vous qui l’avez imaginé, et soyez assuré que ni le roi, ni moi-même ne l’oublierons jamais. »
Dans la nuit du 15 au 16 avril, lord George s’élance à la légère, sans préparation ni planification à l’assaut de la Nairn à la tête de plusieurs milliers d’hommes affamés et épuisés pour une marche de 20 Km. Dans la nuit noire, sans aucune préparation ni connaissance du terrain, les hommes se perdent, la confusion totale s’installe. Vers deux heures du matin, Murray donne l’ordre à ses hommes de se replier pour rejoindre au plus vite leur campement. De retour avant l’aube, Lord George est rejoint par le Prince qui, convaincu de sa trahison, passe sa rage sur le général.
A l’aube, les armées de Cumberland sont réunies dans la plaine de de Culloden. Les jacobites épuisés, à peine revenus de leur marche désastreuse, doivent former les rangs et se préparer à la bataille. Les rangs sont encore clairsemés. Une fois n’est pas coutume, les généraux et les chefs jacobites se disputent la place d’honneur. Les MacDonald, mécontents du poste qui leur est attribué sur la gauche, boudent. Le clan Donald revendique sa place d’honneur à droite, que d’autres clans lui contestent. O’Sullivan et lord George Murray se disputent sur la disposition des unités et la tactique à suivre.
La bataille tourne vite au désastre. Les premières salves d’artilleries anglaises déciment les troupes jacobites qui se sont élancées, sans attendre les ordres, à l’assaut de l’infanterie. Une partie des Highlanders s’embourbe dans les marais rendus collant par la pluie qui s’abat sur la plaine. Les clans, en ordre dispersé, se bousculent, offrant à l’infanterie anglaise un confortable peloton d’exécution. Seules les troupes françaises parviennent à freiner l’avance hanovrienne, ce qui donne au Prince le temps de se mettre à l’abri de la poursuite, tout en permettant à lord George Murray de rassembler les rescapés parmi les Highlanders dans une retraite ordonnée.
Murray conduit les rescapés à Ruthven, le rendez-vous fixé pour le rassemblement des highlanders. Lord George écrit aussitôt à Charles-Edouard lui demandant de réfléchir à nouveau et lui conseillant de rester en Ecosse et d’essayer une autre campagne. Il soutient que les Highlanders «[peuvent] faire une campagne estivale sans risquer aucun malheur»; et «bien qu’ils n’aient ni argent ni provisions, ils ne seraient pas affamés en cette saison de l’année tant qu’il y aurait des moutons et du bétail».
Lord George apprend le 17 avril que le Prince a fait une halte à Fort Augustus avant de prendre la fuite. Il apprend aussi que le Prince a décidé de garder pour lui-même le peu d’argent qui reste dans les caisses jacobites. C’est maintenant à Murray de se sentir trahi. Il lui semble évident que le rassemblement des troupes, à Ruthven et Fort Augustus, n’était qu’un leurre destiné à faciliter la fuite d’un prince résolu à abandonner ses partisans pour rechercher refuge en France. Lord George, qui avec ses hommes avait tout risqué pour la cause d’un prince qui sacrifie cyniquement la vie de ses soldats, s’érige en accusateur de Charles et rédige un violent réquisitoire contre l’action du Prince depuis le début de l’insurrection. Il lit sa lettre à ses guerriers qui se sentent déçus, trompés et désespérés puis il démissionne de son poste de commandement pour ne pas être complice de la trahison et la lâcheté du Prince.
Murray quitte l’armée puis, comme en 1715 et 1719 part de réfugier quelques temps sur ses terres pour échapper à la répression de Cumberland. Une semaine plus tard, la lettre de Murray parvient à Charles, qui y trouve une fois de plus une preuve de la trahison de son général ; pour Charles, c’est un crime de lèse-majesté qu’il ne lui pardonnera jamais.
Pour en savoir plus, consultez notre article sur cette batailleAprès Culloden
Murray trouve refuge sur le continent en décembre 1746. Il est reçu à Rome par le Prétendant Jacques-François Stuart, qui lui accorde une pension en récompense des nombreux services rendus à sa cause. En 1747, il part pour Paris où il demande audience à Charles-Edouard Stuart. Le Prince toujours convaincu de la trahison du général refuse de le rencontrer. Tous les évènements qui se sont déroulés entre l’engagement du Murray et la défaite de Culloden lui rendent justice. S’il est évident que Murray n’a jamais trahi la cause jacobite, Charles-Edouard, qui refuse d’analyser les causes réelles de sa défaite, a toujours été convaincu du contraire.
Lord George Murray trouve résidence dans de nombreux endroits du continent au cours des années suivantes et finit par se fixer à Medemblik, en Hollande, où il s’éteint le 11 octobre 1760 à l’âge de 66 ans.
Sources
- Un Protégé de Bachaumont : correspondance inédite du marquis d’Eguilles, 1745-1748, Alexandre Jean Baptiste Boyer, marquis d’Aiguilles. Edition proposée et commentée par Paul Cottin, 1887.
- James Johnstone, Memoirs of the Chevalier de Johnstone, vol. 1, Londres, Aberdeen, 1871
- James McCearney, Charles-Edouard Stuart, Un prince des ténèbres dans l’Europe des Lumières, Paris, Edition du Rocher, 2008.
- Wikipedia : George Murray
- Jacobite Rebellion of 1745 : Lord George Murray
- Undiscovered Scotland : George Murray