État des lieux du commerce de coton en Europe en 1689, à l'aube des révoltes jacobites
Le coton est présent en Europe depuis au moins le Moyen-âge. Il était alors utilisé pour le rembourrage. L’emploi du coton comme vêtement est plus tardif en Europe que dans le reste du monde : il faut attendre le XVIIème siècle pour la France puis en Angleterre alors que l’on trouve des traces de vêtements dès l’Antiquité en Amérique latine et en Inde.
Préambule
- apprêts : technique qui utilise des calendes en cuivre pour écraser le grain de la toile
- calicots : toile grossière
- futaines blanches : « étoffes grossières dont la chaîne était de fil et la trame de coton » Le Coton, l’impression, Micheline VISEUX
- indiennes : toiles de coton peintes dans les tons rouge garance en provenance des Indes ; aussi appelées perses
- mousselines : voile léger
Un premier essor français
Dans la seconde moitié du XVIIème siècle, les cotonnades arrivent progressivement en France. Les indiennes sont alors très convoitées par la population. Ce sont des produits transformés exotiques hors de prix qui valent rapidement plus cher que de la soie ou des épices. En 1664, Colbert crée la Compagnie des Indes orientales qui rapportent progressivement 8 à 10 vaisseaux chargés de tissus en France par an. C’est un marché très lucratif qui va permettre, l’année suivante, l’apparition du port franc de Marseille. Des cotonnades unies sont alors débarquées dans ledit port et sont peintes par des artisans locaux ayant appris les techniques de peinture des indiennes de Masulupatnam par des Chofelins (noms donné aux Arméniens ramenés à la demande Colbert qui ont enseigné leur savoir aux artisans français). Dès la fin du XVIIème siècle, la technique s’affine grâce à des gravures sur bois qui impriment les motifs directement sur le textile.
A la cour, les courtisans privilégient les luxueuses étoffes de lin, laine et les soies unies pour paraître en société mais les indiennes se multiplient dans les intérieurs, que ce soit dans l’ameublement ou dans le vêtement comme les robes de chambre. En revanche, la meilleure résistance du coton fait que les basses couches de la société s’emparent de ces tissus nouveaux pour leur quotidien.
Le renouveau de la production britannique
Les années 1670-1680 signent la fin de l’essor du coton en France pour les sept décennies qui suivent au profit, notamment, de l’Angleterre. A cela, plusieurs raisons sont à prendre en compte :
- La demi-disgrâce de Colbert, en 1672, va impacter la compagnie maritime qui va laisser l’Angleterre et les Flandres s’emparer d’une grande partie du commerce des indiennes. Dans la décennie qui suit, les Anglais partent notamment en Inde pour adapter les toiles de coton aux demandes de leurs clients ;
- La révocation de l’Edit de Nantes, en 1685, signe la fin de la paix entre catholiques et protestants. Environ 30 000 artisans huguenots (principalement des tisserands, teinturiers, imprimeurs sur tissus et des des négociant et ouvriers en soie) s’exilent alors en masse en Suisse et à Spitalfield, un quartier londonien créé à ce moment ;
- Le gouvernement français décide, en 1686, une interdiction d’importation / transformation / fabrication / vente / port comme vêtement des toiles de coton dans le but de protéger le commerce et les manufactures de textiles français (soie, laine, lin et chanvre), d’optimiser le contrôle de la qualité et la gestion de la main d’œuvre et, ainsi, de préserver ainsi un pan de l’économie interne. Seuls les stocks de cotonnades déjà acquises pouvaient être vendus ;
- Suite à la Glorieuse Révolution britannique de 1688, Guillaume d’Orange monte sur le trône. Ce n’est plus un roi catholique qui gouverne mais un roi protestant et cela permet aux huguenots de pérenniser leur commerce du textile grâce au soutien royal.
Ces migrations et changements politiques vont donner un souffle nouveau à l’économie du textile britannique. En effet, l’Angleterre exploite les cotonnades depuis 1600 directement sur son sol grâce à une première vague de réfugiés flamands qui s’était alors implantée à Manchester pour travailler le coton. En 1685 s’ouvre une fabrique de toiles de coton dans le Lancashire. La Grande-Bretagne maîtrise ainsi progressivement toute la chaîne de fabrication de la transformation de la matière brute à la confection de toiles peintes, de calicots et de mousselines.
Jack Rackham (1682-1720) était un pirate anglais agissant dans les Bahamas de 1717 à 1720. Connu pour ses rapines avec Charles Vane, Anne Bonnie puis Mary Read, Jack Rackham a également un lien particulier avec l’histoire du coton ! En effet, ses tenues étant pratiquement toutes réalisées avec des calicots, il avait très vite eu le surnom de « Calico Jack ».
Il faudra néanmoins attendre 1763 pour que les premières cotonnades du nouveau monde arrivent en Grande-Bretagne ; il s’agissait alors de coton des colonies de Caroline.
la prohibition et l’amélioration des techniques de production artisanales
Les effets des décrets restrictifs sur les imports de coton
En 1700, la Grande Bretagne interdit à son tour les cotonnades des Indes, pour des raisons similaires à la France. Désormais, toutes les importations de textiles sont interdites à l’exception des futaines blanches. Cette tendance avait débuté en 1678 par l’interdiction des importations de textiles français mais cela n’avait pas calmé les éleveurs de moutons et les tisseurs qui protestèrent fortement à la fin des années 1690 au Parlement et à la Chambre des Communes contre les importations de l’East Indian Company. Cette interdiction va durer jusqu’en 1774.
Le marché noir se développe fortement et les indiennes sont vendues à prix d’or. L’Angleterre a désormais une économique textile qui s’appuie sur la soie et le coton en plus de la traditionnelle laine et du lin.
Daniel Defoe, écrivain et politique anglais, écrivait alors dans le Weekly review « la passion pour les produits des Indes a atteint un tel degré que les calancas et les calicots teints dont on ne faisait jusqu’ici que des tapisseries, courtepointes, vêtements pour enfants et les basses classes sont utilisés à présent pour la confection des robes des laidies ».
Il faut néanmoins rappeler qu’il s’agissait alors de grosses toiles de coton et non de fines cotonnades principalement achetées par des femmes d’artisans et de marchands pour confectionner des jupes.
Des inventions et innovations au profit de la production tisserandière artisanale
La production textile de la première moitié du XVIIIème siècle n’est pas encore industrialisée. Elle est dans un système de marché local appelé le domestic system où les négociants et les agriculteurs fournissaient aux paysans des matières premières à confectionner (pour tisser des toiles de lin ou des draps de laine par exemple). Cela se faisait pendant les périodes de faible activité agricole et la marchandise transformée ne quittait pas un périmètre restreint et complétait l’activité tisserandière du sud de l’Angleterre (si la production était par la suite revendue à l’extérieur, on appelait cela le putting out system). Le processus de production était stagnant et peu régulé mais c’est cela qui va instiller les avancées des modes de production. Ainsi, par exemple, en 1733, apparaît la navette volante de John Kay qui augmente le rendement de productivité.
Les années 1740 sont, pour la Grande Bretagne, le début d’une réputation tisserandière mondiale. Les progrès technologiques des métiers à filer, du cardage et des apprêts donnent alors aux étoffes un brillant nouveau et très envié.
Le jacobite John Holker fonde en 1749 une manufacture de velours de coton à Darnetal, près de Rouen, tout en empruntant le savoir-faire de Manchester mais la qualité n’égale pas les tissus des Indes dans un premier temps. Il est à l’origine du développement et de la transformation du coton en Normandie. Cela lui vaudra, par ailleurs, le statut d’inspecteur général des manufactures étrangères en 1755.
En Écosse, autour de 1750, le lin est un secteur très développé mais qui tend à péricliter. Malgré l’effort écossais, les toiles de lin ne rivalisent pas avec les toiles de coton car les tisserands ont des difficultés à blanchir la fibre (cela ne se résoudra qu’avec les progrès de l’industrie chimique au XIXème siècle). De plus, depuis 1690 et la présentation de l’Anglais Hocke à l’industrie textile, les tisserands savent réaliser des cotons imprimés résistants à l’eau et au savon, ce qui accroît l’attractivité des cotonnades.
L’invention de James Hargreaves, la Spinning jenny, en 1764 donne alors l’impulsion qui manquait pour débuter la Première Révolution industrielle et la mécanisation du secteur du textile.
1765, la Première Révolution industrielle et l’implantation définitive du coton dans les industries européennes
En 1765, la Révolution industrielle marque le grand retour du coton sous toutes ses formes grâce à l’industrialisation du textile. L’augmentation et l’amélioration des moyens de production associées au faible coût de la main d’œuvre dans les colonies font baisser les prix. Les cotonnades se démocratisent très rapidement dans toutes les couches sociales. Le coton décolle définitivement en 1771.
Le Nord-Est de l’Angleterre profite de l’industrialisation du textile et du développement du charbon et de la vapeur pour créer des réseaux de transports performants et rapides, diminuant encore le coût du produit fini. Les industries fleurissent aux abords des rivières et des moulins. Par exemple, à 60km de Manchester, en 1772, ouvre une usine employant 800 personnes. Douze ans plus tard, la ville-champignon de New Lanark pousse près de Glasgow.
Quelques chiffres et dates :
- 1760, apogée des indiennes en Europe ;
- entre 1760 et 1820, le coton multiplie par 52 ses importations de matières brutes ;
- entre 1771 et 1808, les importations de coton brut sont multipliées par 12 et multiplient ainsi par 5 le total des exportations sur l’ensemble du XVIIIème siècle ;
- en 50 ans, le prix du coton est divisé par 5.
Le coton dans l’Écosse des révoltes jacobites (1689-1746)
La cotonnade des Indes est un produit qui a été prohibée en France jusque dans les années 1750 et qui est en quantité limitée en Angleterre. Réalisées de manière artisanale, les indiennes sont très convoitées et très chères car il s’agit d’un produit exotique. La simple toile de coton est sous forme de futaine à destination de l’ameublement, des vêtements des enfants et de la classe paysanne / ouvrière, bien que cela commence à se démocratiser dans les classes supérieures.
Les Lowlands et surtout les Highlands s’appuient en partie sur une économie de domestic system pour ce qui est de l’économie textile à destination des populations locales. Il y a donc une forte production écossaise de lin et de laine qui prédomine sur la soie londonienne. La proximité avec la manufacture de Manchester laisse penser que les Lowlands ont tout de même accès aux futaines blanches (futaines ensuite teintes en Angleterre). Le commerce dans les Highlands est également présent (les accès routiers jusqu’à Inverness et le transport martime pour les îles). Les marchands et négociants achetant les productions nord-écossaises ne voyageant pas à vide, il est fortement probable que les indiennes et futaines aient rapidement percées dans ces terres reculées.
Sources
- ARIZZOLI Pierre, GORGUET BALLESTEROS Pascale, Faste de cour et cérémonies royales, Le Costume de cour en Europe 1650-1800, Ed. Réseau des Monuments nationaux en partenariat avec le château de Versailles, 2009
- BOUCHER François, Histoire du costume en Occident de l’Antiquité à nos jours, Ed. Flammarion, 1965
- FAU Alexandra, Histoire des tissus en France, Ed. Ouest-France, 2006
- JOIN-DIETERLE Catherine, Modes en miroir, La France et la Hollande au temps des Lumières, Ed. Paris Musées pour le musée Galliera, 2005
- VISEUX Micheline, Le Coton, l’impression, Ed. l’Albaron, 1991
- Wikipédia – Histoire des indiennes de coton en Europe – [page consultée en septembre 2016]
- Wikipédia – Manufacture du textile en Grande-Bretagne – [page consultée en septembre 2016]
- Wikipédia – Premiers entrepreneurs du coton britannique – [page consultée en septembre 2016]